Émission radiophonique de 54 minutes, postérieure au film L'Energie positive des dieux
Le projet musical post-punk Astéréotypie regroupe des personnes autistes, entourées de musiciens. Claire et Stan, deux des membres du groupe sont nos invités ce soir.
Nous vous proposons d'écouter ici quelques chansons dans leur intégralité.
Chansons de Jacques Bertin, et des amis...
Paroles d'Henri Gougaud, musique de Jacques Legrand
par Pascale Evieux, Jacques Legrand, Olivier Pornin
Le Fusil
Le Fusil est un être masculin et singulier. Sa physionomie est plutôt grotesque. Il n'a, pour tout visage qu'un nez effilé démesurément long.
Le bout de son nez est surmonté d'une toute petite verrue que les mauvaises langues appelle le point de mire.
Comme toutes les personnes laides, le Fusil est acariâtre et prompt à la colère : il s'emporte très facilement.
[…]
Au pied du tilleul
je pisse ma tisane -
retour à l'envoyeur
Le petit bonhomme en mousse
=> représentation du prolétaireQui s'élance et rate le plongeoir
=> l'ascenseur social, l'école qu'on représente comme un tremplin qu'il est si simple de raterC'est comme la chanson douce
Que chantait ta maman le soir
=> la fable du capitalisme, le rêve américain
[…]
L'extrait est le premier poème du recueil.
Pierre Lurier, épuisé de fatigue, dormit la veille de son crime, ni plus ni moins que Napoléon la veille d'Austerlitz.
Le voyage dure encore
qui me mène au commencement de moi-même
et la traversée ne connaît aucun port.
De vastes ailes, des barques d’absence
un château blessé. Le vent tourmente
des forêts sans mémoire, perce les épaves
les ruines déjà rouillées par trop d’hivers.
Je rentre par des chemins dispersés
aux quatre coins de la nuit, par des paroles
accroupies dans la langue de mon père
des cris, des balbutiements, des mots
en friche qui ne racontent aucune histoire
et croquent le fruit et attendent le printemps.
J’ai longtemps cherché le seuil
de ma propre maison, des pierres lourdes
encombraient le passage.
Aujourd’hui j’avance vers ce que je deviens
je me fonde, m’érige
m’échafaude à l’est de mon arbre
pour que tout commence
avec ce qu’on appelle vivre.
J’ai compris tant de choses
de mes bonheurs et de mes déchirures.
Le temps brûle entre mes mains
comme des feuilles jaunies, l’empreinte
de chaque solitude
que l’on regarde les yeux fermés.
Et si, derrière nos pas, le monde
se remet à battre, que reviennent
comme de grandes marées
les terres jamais entrevues
et si je porte encore une trace
c’est d’espérance en un commencement
qui nous recommencera.
Suite à ce butinage du 22 juillet 2023 : MES FORÊTS - Hélène Dorion, il m'est venu peu après que je connaissais déjà Hélène Dorion… C'était forcément dans le recueil collectif Femmes rapaillées, le seul livre de ma bibliothèque de poétesses québécoises… Et dans ce livre, j'avais laissé quatre marque-page pour y retrouver rapidement ce qui m'avait le plus impressionné ; l'un des quatre était à la page de ce poème d'Hélène Dorion.
Monsieur Palomar se tient debout et regarde une vague. Ce n'est pas qu'il soit absorbé par la contemplation des vagues. Il n'est pas absorbé, car il sait très bien ce qu'il fait : il veut regarder une vague et il la regarde.
Éditeur au Cadran Ligné, Laurent Albarracin est aussi poète et s’efforce de mêler à son travail poétique une exploration des possibilités du langage. S’efforçant ici à la contrainte, il fait le pari dans son nouveau recueil aux éditions Lurlure, d’une géniale épopée en alexandrin, qui raconte le périple parodique et burlesque d’une petite troupe on l’on reconnaîtra avec amusement quelques familiers du poète ; c’est qu’il faut s’abandonner à l’aventure avec Le Château qui flottait.
« Pour sûr, tels que nous randonnions, en rang d’oignons,
Dans ce défilé se défilant, nous formions
Une chevalerie dérisoire et risible,
Serrés autant que dans une boîte à fusibles. »
de Jean-Pierre Le Goff
Éditions Le Cadran ligné
Au sein de ce recueil, L'ombre pour proie s'étend sur une quinzaine de pages ; extraits :
Les ombres
Ont aussi
Des ombres
Dans lesquelles
Elles se résorbent
L'ombre
De mon ombre
Est peut-être moi
L'ombre
A une mentalité
De cerf-volant
L'ombre
Comme une cendre
De soi
Le nuage
Est de l'ombre
À l'état pur
L'ombre
Répète des choses
Que votre physique
Tait
Je lisais Le sergent dans la neige, récit autobiographique de Mario Rigoni Stern de la débâcle de l'armée italienne du front russe. Ce jour-là, après en avoir lu une quinzaine ou une vingtaine de pages, à la fin de ce paragraphe :
Apprenant que Rino est dans une isba tout près, je vais le retrouver. J'ai envie de l'avoir à mes côtés, cette nuit. Je fais rôtir un morceau de porc sur les braises et nous mangeons tous les deux. Enfin, nous nous étendons sous les couvertures et les capotes. La chaleur d'un corps réchauffe l'autre. L'haleine de l'un réchauffe le visage de l'autre. Nous entrouvrons les yeux par instants, pour nous regarder. Que de souvenirs se nouent dans la gorge. Je voudrais parler de notre maison, de nos proches, des filles que nous aimons, de nos montagnes, de nos amis. Tu te rappelles, Rino, la fois où le professeur de français a dit : « Une pomme pourrie peut pourrir une pomme saine, mais une pomme saine ne peut pas guérir une pomme pourrie » ? La pomme pourrie, c'était moi ; toi, tu étais la pomme saine. Tu t'en souviens, Rino ? Moi, j'avais toujours de mauvaises notes. J'ai tant de choses à te dire et je ne suis même pas capable de te souhaiter une bonne nuit. Nos compagnons dorment déjà, mais pas nous. Dehors, c'est la steppe désolée et les étoiles qui luisent au-dessus de cette isba sont les mêmes qui luisent au-dessus de nos maisons. Nous nous endormons.
… Alors que rien ne m'empêchait d'en lire plus, j'ai refermé le livre, car j'avais l'impression d'avoir « fait le plein », et un peu peur de ne pouvoir ressentir plus. Je n'ai plus rien fait pendant un moment, ou j'ai vaqué à je ne sais plus quelle occupation ne demandant pas grande concentration, et ce que je venais de lire continua de vivre en moi ; j'étais à la fois élevé (dans le sens d'une élévation) et vaguement triste, et vaguement heureux d'être ainsi élevé…
Et encore ce dimanche matin avec un autre livre… Souvent avec une œuvre, livre ou autre…
Dans le flot des manants qui devant eux s’entr’ouvre,
Deux raffinés, allant par le Pont-Neuf au Louvre,
Causent joyeusement, bras dessus, bras dessous.
[…]
Vidéo de 56 secondes
Poème extrait du livre Mes forêts, Éditions Bruno Doucey.
Réalisation et narration : Hélène Dorion
→ Le livre (acheté ce matin du samedi 22 juillet 2023, 5€90)
Ici dans sa lecture, Hélène Dorion ne dit pas le douzième vers, qui est dans le livre ; le voici :
elles sont les mâts de voyages immobiles
Dans le ciel en plein milieu
depuis plus de deux mille ans
une buse fait du planeur
on l’entend qui se plaint
de la dureté des temps
de la cherté de la vie
des impôts qui augmentent
et des hommes qu’on tue
dans ces pays là-basElle imite le cerf-volant
à la perfection
et il fait si beau
qu’on voit à peine
la ficelle
que tient l’enfant
Jean-Claude Touzeil
On pourrait imaginer malgré tout que circulent encore d'un bout à l'autre de la terre pas encore exténuée des bandes sans nom et sans drapeau, pas du tout des sectes - lesquelles sont toutes, probablement, des engeances nées du crétinisme -, des espèces de voyageurs plus ou moins obscurs et même quelques fois minables - pas davantage des stars du vagabondage - ; tout juste des gens, comme cela, sans liens explicites les uns avec les autres, mais qui auraient en commun de persévérer au milieu des pires débâcles, avec une résistance involontaire, même pas héroïque, à peine consciente ; seulement la capacité, parfois, d'un sourire, franc ou timide, quelques mouvements de compassion vraie, de loin en loin un geste de bonté vraie, une patience presque inlassable ; à croire que les uns et les autres auraient reçu tout de même de la vie, sans l'avoir cherché ou demandé, ou ne cherchant et ne demandant rien ou pas grand-chose, de légers viatiques, pas les mêmes pour tous, mais suffisants, jusqu'à preuve du contraire, pour les maintenir en mouvement jusqu'à leur dernier souffle. Ce serait alors une sorte de dernier espoir à espérer, que leurs pas dessinent, indépendamment de toute appartenance à un groupe et de tout programme, gratuitement, un réseau qu'on voudrait aussi invisible et aussi fertile que celui des racines dans la terre. Nous avons des amis parmi eux ; tous nos vrais amis, en définitive, sont de cette sorte. On en tire aucune vanité, on en parle à peine, on n'enrôle ni n'excommunie personne, on ne se croit pas autorisé à faire à personne la leçon ; mais la conscience, ou le rêve, de ce réseau est notre moins fragile appui.
Philippe Jaccottet, Israël, cahier bleu
Alcidon contre sa Bergère
Gagea trois baisers que son chien
Trouverait plutôt que le sien
Un flageolet caché sous la fougère.
La Bergère perdit, et pour ne point payer
Elle voulut tout employer.
Mais contre un tendre amant c’est en vain qu’on s’obstine.
Si des baisers gagnés par Alcidon
Le premier fut pure rapine,
Les deux autres furent un don.
Antoinette Deshoulières
De rose alors ne reste que l’épine
Poésies 1659-1694
Il est écrit dans les notes du recueil que « le flageolet est un pipeau champêtre qui sert d'allusion sexuelle ».
Quant au mammouth, il maigrissait à vue d'œil — il devait avoir perdu, à cette heure, plusieurs tonnes de graisse — et devenait nerveux comme une institutrice allergique au mariage.
Un survivant de la préhistoire, nouvelle de Jack London, traduite par Louis Postif.