[…] Les voisins constituent encore un symptôme infaillible de l'approche du printemps. Dès qu'ils se précipitent dans leurs jardins avec des bêches, des pioches, des sécateurs, des enduits pour les arbres et toutes sortes de poudres pour mettre dans le sol, un jardinier expérimenté devine que le printemps approche ; et alors il revêt lui aussi de vieux pantalons et se précipite dans son jardin avec pioche et bêche, afin que ses voisins à lui s'aperçoivent aussi que le printemps approche et se communiquent par-dessus les palissades cette joyeuse nouvelle.
Karel Čapek, L'année du jardinier, 1929, traduit du tchèque par Joseph Gagnaire, éditions 10/18.
[individu1671137] — mes précédentes lectures de Karel Čapek :
Un vaisseau spatial a embarqué un wub, une sorte de cochon, énorme.
Le wub :
Vous envisagez l'éventualité de faire de moi votre dîner. Mon goût, me suis-je laissé dire, est savoureux. La chair est un peu grasse, mais tendre. Cela dit, comment votre peuple et le mien pourront-ils espérer établir des relations durables si vous adoptez une attitude aussi barbare ? Me manger ? Vous feriez mieux de discuter avec moi ; causons philosophie, art…
L'humanité, dans son désir de confort, avait dépassé ses limites. Elle avait beaucoup trop exploité les richesses de la nature. Avec calme et complaisance, elle sombrait dans la décadence…
Extrait de La Machine s'arrête de E.M. Forster, publié en 1909, réédité en 2020 par l'échappée, 110 pages, 7€.
« Mon grand plaisir, c’est de ne pas être dans les contraintes financières et de garder la liberté totale de publier ce que j’aime. Certains auteurs, je sais que ça ne marchera pas, je m’en fiche. Par dévotion pour la qualité du texte. Certains livres méritent d’être publiés, je le fais. »
Un peu de lecture éditée récemment par Le Cadran ligné ?
→ Silvia Majerska
Berlin, 4 octobre 1923, lettre de Franz Kafka à sa sœur Elli.
Traduction : Laurent Margantin, 18 février 2017
Laurent Margantin a entrepris une nouvelle traduction du Journal de Kafka :
Une édition critique du Journal de Kafka (2013-2023)
Mon coeur outré de déplaisir
était si gros de ses soupirs
voyant votre humeur si farouche
que l’un d’eux se voyant réduit
à n’oser sortir par la bouche
sortit par un autre conduit.
Charles de Saint-Évremond
XVIIème siècle
Édition du 7 janvier 2021 des POCHES DE RÉSISTANCE POÉTIQUE
1'06
Texte : Pauline Picot
Voix : Fany Buy
Images : piochées dans le trésor de la BNF et arrangées par Fany Buy et Pauline Picot
Nous mangeons des pâtes en parlant du cancer
[…]
Sous les astres errants du ciel
sans fin s’agitent et se transforment
tous les éléments de la matière.
Rien à faire
la nature des choses est irrégulière.
Rien à faire
la vérité est toujours en ruines.
Rien à faire
les souffrances endurées
ne rendent pas plus réel le temps passé.
→ Pour aller plus loin avec les Élégies documentaires de Muriel Pic :
on peut écouter le comédien Jacques Bonnafé en 4 x 3 minutes environ ; ça commence là-bas ;
Sans adresse est un recueil de sonnets écrit durant les derniers mois que Pierre Vinclair passa à Shanghai. Après sept ans à l’étranger, le temps se fait long, l’auteur s’ennuie des siens ; en même temps, la métropole chinoise continue de changer sous ses yeux, offrant un visage toujours renouvelé.
Sans adresse commence par :
Six heures trente-six. Si le soleil se lève,
le matin est plutôt comme une couverture
qui tombe, brusquement, faisant voler dans l’air
une poussière épaisse. On entend les voituresreprendre leur tousser. Levé, en pyjama,
assis dans le salon, je ne suis pas un père
mais pour une minute un dieu qui se prépare
avec le temps et face à l’air conditionné —à quoi ? Votre réveil imminent (dans vingt ans,
trente ans, qui serez-vous, qui lirez ce poème ?
Mes filles… je serai l’horrible grabatairedont vous vous occupez…) Amaël crie. J’entends
les premiers mouvements de vos corps minuscules
au fond des draps froissés. Six heures trente-sept.
Le bois craque sous les bois. Le cerf posait seulement la question de la sève.
Pierre Peuchmaurd, extraits de Printemps Carcasse dans le recueil Les cordes de patience, chez l'Oie de Cravan, éditeur à Montréal.
Je sens ta jupe courir en moi, tes seins bondir vers l'autre, je vois les truites monter au feu, l'eau s'accroupir, j'entends midi sonner trois fois, heurter ses crânes, la renarde crie dans un désert noir, le printemps disperse ses vaisseaux tremblants.
Paris, chronique de 1832
Thomas Bouchet
Vidéo de 12'52
Que font aux corps et aux esprits les épidémies qui au fil des siècles affectent en profondeur la vie en société ? Voici, pour s’en faire une toute petite idée, quatre femmes confrontées au choléra de 1832. Elles s’appellent Louise, Émilie, Adélaïde et Lucie. Issues de milieux sociaux très divers, mi-réelles et mi-fictionnelles, elles sont directement exposées à l’épidémie. Deux d’entre elles sont atteintes, l’une des deux en meurt.
Le livre De colère et d’ennui – Paris, chronique de 1832 de Thomas Bouchet est paru en 2018 aux éditions anamosa.
Décembre
(Les hôtes)– Ouvrez, les gens, ouvrez la porte,
je frappe au seuil et à l’auvent,
ouvrez, les gens, je suis le vent,
qui s’habille de feuilles mortes.– Entrez, monsieur, entrez, le vent,
voici pour vous la cheminée
et sa niche badigeonnée ;
entrez chez nous, monsieur le vent.– Ouvrez, les gens, je suis la pluie,
je suis la veuve en robe grise
dont la trame s’indéfinise,
dans un brouillard couleur de suie.– Entrez, la veuve, entrez chez nous,
entrez, la froide et la livide,
les lézardes du mur humide
s’ouvrent pour vous loger chez nous.– Levez, les gens, la barre en fer,
ouvrez, les gens, je suis la neige,
mon manteau blanc se désagrège
sur les routes du vieil hiver.– Entrez, la neige, entrez, la dame,
avec vos pétales de lys
et semez-les par le taudis
jusque dans l’âtre où vit la flamme.Car nous sommes les gens inquiétants
qui habitent le Nord des régions désertes,
qui vous aimons – dites, depuis quels temps ? –
pour les peines que nous avons par vous souffertes.
La distinction entre l’art et l’artisanat est injuste. Il y a des artisans qui sont de véritables artistes, je le reconnais volontiers : ils mentent, bâclent, se foutent de vous quand vous avez le dos tourné, essaient de coucher avec votre femme et se font payer dix fois le prix qu’ils valent réellement.
On peut feuilleter quelques pages.
Bonus : on peut aussi cliquer sur l'image ci-dessous.
Et si vous en voulez encore : https://tampographe.com/
C’étaient des mots irrémédiables
Que j’entendais en ce soir étoilé,
Et je fus prise de vertige,
Comme au bord d’un gouffre enflammé.
Et la mort hurlait à ma porte,
Tel un hibou ululait le jardin noir,
Et la ville mortellement épuisée
Etait alors plus ancienne que Troie…
L’éclat de cette heure était intolérable,
Elle sonnait, semble-t-il, à en pleurer.
Ce que tu m’as donné, ce n’est pas le cadeau
Que tu apportais de si loin.
Il te semblait un jouet futile
En ce soir d’ardentes brûlures.
Et dans mon destin mystérieux,
C’est un poison qui lentement me tue.
C’est le précurseur de tous mes malheurs,
Ne parlons pas de ça…
Au coin de la rue sanglote encore
Cette rencontre qui n’a pas eu lieu.
Anna Akhmatova
l’Hôte venu du futur, édition bilingue, traduit du russe par Sophie Benech, éd. Interférences, 80 pages, 13 €
Nous sommes maintenant nos êtres chers est le premier recueil de poésie – après deux romans – de Simon Johannin.
Au commencement
Il était toi qui coules sur les garçons
Il était une robe verte
Une bouteille d’alcool blanc
Les ruelles d’une ville où, chaque soir, les étoiles se rendent
[…]
Date de publication : 14 octobre 2020
Nombre de pages : 420
Dimensions : 24 x 20 x 3 cm
Poids : 1586 g
Prix : 37 €
J’ai vu des centaines d’hommes passer sur les routes et dans les ranchs, avec leur baluchon sur le dos et les mêmes mensonges dans la tête. J’en ai vu des centaines. Ils viennent, et, le travail fini, ils s’en vont ; et chacun d’eux a son petit lopin de terre dans la tête. Mais y’en a pas un qu’est foutu de le trouver. C’est comme le paradis.
Quel défi que d’adapter ce chef-d’oeuvre de Steinbeck en roman graphique et d’y insérer l’intégralité du texte […] le résultat est spectaculaire. […] Une création hors-norme, où dialogues, vieilles photos, dessins, couleurs… s’étreignent et se heurtent sans temps mort.
Sandrine Mariette, Elle France
Le désir, je connais.
Désir de soleil, d'avenir, d'homme, de fraises en hiver. Le désir de lire et celui d'aller à Venise. Mais je bute sur le désir de poésie. Sans doute parce que je ne sais pas dire ce qu'est la poésie.
Annie Ernaux dans la revue Poésie/première n°16
Texte : Pauline Picot
Voix : Fany Buy
Images : piochées dans le trésor de la BNF et arrangées par Fany Buy et Pauline Picot
8 juin 2020 - 2'32
Il va falloir être gentil
Avec ceux qui ne sortiront plus jamais
Avec ceux qui reprennent
Avec ceux qui sont déjà invités à 23409 anniversaires
Avec ceux qui ne veulent pas reprendre
Avec ceux qui […]
Si on en veut plus :
On l'a peut-être un peu oublié, Roland Bacri, […]
C'est aujourd'hui que sort mon livre "Trucs de vieux" dans les circonstances qu'on connaît. Je vous en offre un poème, comme une réclame en quelque sorte.
[individu1671137] — Quand j'étais petit et beaucoup plus jeune qu'aujourd'hui, on ne disait pas “la publicité” ou “la pub”, on disait “la réclame“.
Je pense que “la réclame” désigne mieux l'appel à acheter un produit, mieux que “publicité” qui est un mot plus neutre. Si je disais “la réclame“, j'y mettrais le dédain profond que j'ai pour la chose publicitaire.
Dans une société ravagée par la guerre et les bombes à hydrogène, les jeunes femmes nubiles se rendent dans un zoo futuriste où elles ont, dans les cages, des rapports sexuels avec diverses formes de vie contrefaites, non humaines. Dans le cas qui nous préoccupe, une jeune femme rafistolée à partir des corps abîmés de plusieurs autres a des rapports sexuels avec une extraterrestre femelle, là, dans la cage, à la suite de quoi, grâce à la science du futur, elle conçoit. L’enfant naît, la jeune femme et la femelle de la cage se battent pour se l’approprier. L’humaine l’emporte et dévore promptement le rejeton – cheveux, dents, orteils, tout. Là-dessus, elle se rend compte que c’était Dieu.
[individu1671137] — Il vient d'être publié, en Quarto Gallimard, les nouvelles complètes de Philippe K. Dick, en deux tomes, chacun de plus de mille pages, vendus séparément, ou ensemble dans un coffret ; je l'aurais acheté si je n'avais pas été sage mais comme je l'ai été, j'ai rempli une fiche de suggestion d'acquisition à la médiathèque de ma ville.
03/11/2020 : ma suggestion est passée de l'état “A valider” à “confirmé”.
« Je me souviens, le premier confinement, je ne l’avais pas mal pris. Il avait fait beau, on mangeait dehors. Je dînais à heure fixe, ça me changeait. Je réussissais à perdre du poids. J’écrivais. J’ai travaillé mais de manière différente. J’ai regardé des séries. Et puis surtout, j’ai profité de mes proches. Ce fut une parenthèse pas désagréable. Tous les soirs à 20h, comme tout le monde, j’applaudissais le personnel hospitalier. Je me disais que ce n’était pas si mal un pays qui, plutôt que son économie, privilégiait notamment la vie de ses vieux.
Le deuxième confinement, j’ai moins aimé. […]
[individu1671137] — J'ai lu de lui cinq ou six romans, un recueil de nouvelles, j'ai toujours envie de relire Les Enfants de Minuit (le premier que j'ai lu, dans les années 1990), je me laisserais bien tenter par son dernier paru, ce Quichotte… J'ai d'autres, nombreuses, envies de lecture, certaines déjà en volume chez moi…
On définit toujours la lenteur par le manque de rapidité. Mais pourquoi ne définit-on jamais la rapidité par le manque de lenteur ?
Tandis que les uns traînent
d'autres s'entraînent.Sur le bord de la piste,
dans l'herbe mouillée du matin,
un escargot se promène.Quand il avance de trente centimètres,
les coureurs ont eu le temps de parcourir
douze cent mètres sur la piste.Un tour
deux tours
trois tours.Tandis que les coureurs
tournent en rond
dans le stade
l'escargot va son chemin sans revenir sur ses pas.
Mais je voudrais être horizontale.
Je ne suis pas un arbre dont les racines en terre
Absorbent les minéraux et l’amour maternel
Pour qu’à chaque mars je brille de toutes mes feuilles,
Je ne suis pas non plus la beauté d’un massif
Suscitant des Oh et des Ah et grimée de couleurs vives,
Ignorant que bientôt je perdrai mes pétales.
Comparés à moi, un arbre est immortel
Et une fleur assez petite, mais plus saisissante,
Et il me manque la longévité de l’un, l’audace de l’autre.Ce soir, dans la lumière infinitésimale des étoiles,
Les arbres et les fleurs ont répandu leur fraîche odeur.
Je marche parmi eux, mais aucun d’eux n’y prête attention.
Parfois je pense que lorsque je suis endormie
Je dois leur ressembler à la perfection —
Pensées devenues vagues..
Ce sera plus naturel pour moi, de reposer.
Alors le ciel et moi converseront à cœur ouvert,
Et je serai utile quand je reposerai définitivement :
Alors peut-être les arbres pourront-ils me toucher, et les fleurs m’accorder du temps.
L'oiseau s'envole en se faisant son aile
l'aile qui est le moyen par lequel
tout oiseau se glisse dans sa plume
et rejoint avec légèreté le ciel
Éditions Rougerie, 2020
D'un merle qui varie
on ne peut rien conclure
sinon que le merle varie
et qu'on peut tout en conclure
À Tulle, on trouve aisément des livres de Laurent Albarracin à la librairie Préférences, et on peut croiser le poète lui-même dans la rue ou dans un bistro… On peut aussi lui parler : c'est un humain.
Le vent qui roule un cœur sur le pavé des cours,
Un ange qui sanglote accroché dans un arbre,
La colonne d’azur qu’entortille le marbre
Font ouvrir dans ma nuit des portes de secours.Un pauvre oiseau qui meurt et le goût de la cendre,
Le souvenir d’un œil endormi sur le mur,
Et ce poing douloureux qui menace l’azur
Font au creux de ma main ton visage descendre.[…]
[ Conseil 1671137 ] — Prévoir 19'13 (c'est la durée de la vidéo) + du temps avant de revenir à la vie “normale”.
Devant la maison de leur maître, deux esclaves se lamentent : comment ce dernier, Démos, a-t-il pu se laisser embobiner par un dangereux beau parleur qui ne songe qu'à le manipuler (Les Cavaliers) ? Chambardement en vue à Athènes : déguisées en hommes, les femmes prennent place à l'Assemblée et font voter de nouvelles lois qui malmènent l'ordre établi (L'Assemblée des femmes). Maniant la satire avec la puissance comique et la fécondité d'invention qui le caractérisent, Aristophane épingle dans ces deux pièces les travers de la démocratie athénienne, et donne au lecteur de notre temps une image vivante et cocasse de la société antique.
Notes en fin de volume de l'édition en folio classique.
Ne pas lire la note 1 de la page 171 : elle divulgâche ! On peut lire toutes les autres notes ; en voici quelques unes :
Palatine
Fourrure en forme de pèlerine couvrant le cou et les épaules (du nom de la princesse Palatine, qui la mit à la mode en 1676).
Mazagran
Café froid servi dans un verre, et auquel on ajoutait de l'eau.
Godiveaux
Boulettes de hachis faites avec de la rouelle de veau, de la graisse de rognon de bœuf et des œufs.
page 293, Zola y parle du personnage nommé Cadine :
Une autre boutique, en face du square des Innocents, lui donnait des curiosités gourmandes, toute une ardeur de désirs inassouvis. C'était une spécialité de godiveaux. Elle s'arrêtait dans la contemplation des godiveaux ordinaires, des godiveaux de brochet, des godiveaux de foie gras truffés ; et elle restait là, rêvant, se disant qu'il faudrait bien qu'elle finît par en manger un jour.
Cadine
Dans un premier état de la préparation du roman, Zola avait pensé à faire finir Cadine dans la peau d'une cocotte. Le personnage aurait alors préfiguré Nana. Il a abandonné cette idée.
Marjolin
Zola avait voulu faire de ce personnage le « Quasimodo de la Halle » : « Il y demeurera, n'en sortira jamais, en sera le génie familier ».
Muche
D'après le Dictionnaire de la langue verte, de Delvau, muche signifiait « excellent ».
Lisa est la fille d'Antoine Macquart et de Fine Gavaudan. Elle a pour sœur Gervaise (héroïne de L'Assommoir, mère du peintre Claude Lantier) et pour frère Jean Macquart (personnage principal de La Terre).
Le personnage de Claude Lantier réapparaîtra, au premier plan, dans L'Œuvre.
Pauline Quenu sera l'héroïne de La Joie de vivre.
Si Melocoton reste la chanson de Colette Magny la plus connue, sa chanson Les Tuileries (Victor Hugo/Colette Magny) fait également l'objet de nombreuses interprétations.
Le blog consacré à Colette Magny propose une sélection de 11 versions, dont deux par Colette Magny. (Je crois que j'avais placé autrefois dans un butinage celle du duo Bertrand Belin - Camélia Jordana.)
Le poème de Victor Hugo a 13 strophes, Colette Magny lui a emprunté les strophes 1 2 3 5 6 7.
Nous sommes deux drôles,
Aux larges épaules,
De joyeux bandits,
Sachant rire et battre,
Mangeant comme quatre,
Buvant comme dix.Quand, vidant les litres,
Nous cognons aux vitres
De l’estaminet,
Le bourgeois difforme
Tremble en uniforme
Sous son gros bonnet.Nous vivons. En somme,
On est honnête homme,
On n’est pas mouchard.
On va le dimanche
Avec Lise ou Blanche
Dîner chez Richard.On les mène à Pâques,
Barrière Saint-Jacques,
Souper au Chat Vert,
On dévore, on aime,
On boit, on a même
Un plat de dessert !Nous vivons sans gîte,
Goulûment et vite,
Comme le moineau,
Haussant nos caprices
Jusqu’aux cantatrices
De chez Bobino.La vie est diverse.
Nous bravons l’averse
Qui mouille nos peaux ;
Toujours en ribotes
Ayant peu de bottes
Et point de chapeaux.Nous avons l’ivresse,
L’amour, la jeunesse,
L’éclair dans les yeux,
Des poings effroyables ;
Nous sommes des diables,
Nous sommes des dieux !Nos deux seigneuries
Vont aux Tuileries
Flâner volontiers,
Et dire des choses
Aux servantes roses
Sous les marronniers.Sous les ombres vertes
Des rampes désertes
Nous errons le soir,
L’eau fuit, les toits fument,
Les lustres s’allument,
Dans le château noir.Notre âme recueille
Ce que dit la feuille
À la fin du jour,
L’air que chante un gnome.
Et, place Vendôme,
Le bruit du tambour.Les blanches statues
Assez peu vêtues,
Découvrent leur sein,
Et nous font des signes
Dont rêvent les cygnes
Sur le grand bassin.Ô Rome ! ô la Ville !
Annibal, tranquille,
Sur nous, écoliers,
Fixant ses yeux vagues,
Nous montre les bagues
De ses chevaliers !La terrasse est brune.
Pendant que la lune
L’emplit de clarté,
D’ombres et de mensonges,
Nous faisons des songes
Pour la liberté.
Victor Hugo, extrait des Pièces non retenues des Chansons des rues et des bois