Je lisais Le sergent dans la neige, récit autobiographique de Mario Rigoni Stern de la débâcle de l'armée italienne du front russe. Ce jour-là, après en avoir lu une quinzaine ou une vingtaine de pages, à la fin de ce paragraphe :
Apprenant que Rino est dans une isba tout près, je vais le retrouver. J'ai envie de l'avoir à mes côtés, cette nuit. Je fais rôtir un morceau de porc sur les braises et nous mangeons tous les deux. Enfin, nous nous étendons sous les couvertures et les capotes. La chaleur d'un corps réchauffe l'autre. L'haleine de l'un réchauffe le visage de l'autre. Nous entrouvrons les yeux par instants, pour nous regarder. Que de souvenirs se nouent dans la gorge. Je voudrais parler de notre maison, de nos proches, des filles que nous aimons, de nos montagnes, de nos amis. Tu te rappelles, Rino, la fois où le professeur de français a dit : « Une pomme pourrie peut pourrir une pomme saine, mais une pomme saine ne peut pas guérir une pomme pourrie » ? La pomme pourrie, c'était moi ; toi, tu étais la pomme saine. Tu t'en souviens, Rino ? Moi, j'avais toujours de mauvaises notes. J'ai tant de choses à te dire et je ne suis même pas capable de te souhaiter une bonne nuit. Nos compagnons dorment déjà, mais pas nous. Dehors, c'est la steppe désolée et les étoiles qui luisent au-dessus de cette isba sont les mêmes qui luisent au-dessus de nos maisons. Nous nous endormons.
… Alors que rien ne m'empêchait d'en lire plus, j'ai refermé le livre, car j'avais l'impression d'avoir « fait le plein », et un peu peur de ne pouvoir ressentir plus. Je n'ai plus rien fait pendant un moment, ou j'ai vaqué à je ne sais plus quelle occupation ne demandant pas grande concentration, et ce que je venais de lire continua de vivre en moi ; j'étais à la fois élevé (dans le sens d'une élévation) et vaguement triste, et vaguement heureux d'être ainsi élevé…
Et encore ce dimanche matin avec un autre livre… Souvent avec une œuvre, livre ou autre…